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ZEZI VRE ZOM
14 octobre 2012

INTERVIEW: Le bonheur de croire peut devenir ferment de justice et de paix dans le monde, selon Mgr Maurice Piat

« J’ai l’impression quelquefois que beaucoup de jeunes sont comme des brebis sans bergers »

piat12oct

Dans le cadre de l’Année de la foi qui a débuté hier et qui rallie les catholiques du monde entier, l’évêque de Port-Louis en explique l’importance. Mgr Maurice Piat jette aussi un éclairage sur le renouvellement dans la vie de l’Église durant ces 50 dernières années à la suite du Concile Vatican II qui, dit-il, continue « à porter des fruits ». Pour lui, cette Année de la foi n’est pas en déphasage avec les réalités du monde car elle peut, à son avis, cimenter les initiatives des chrétiens pour répondre aux enjeux de la société tels la crise économique, le manque de leadership, le chômage, la corruption, la violence au sein des familles, la détresse humaine… et que la foi peut être « ferment de justice et de paix dans le monde ». Mgr Piat laisse aussi entrevoir sa vive préoccupation quant aux dangers auxquels sont confrontés les jeunes par manque de repère. « Plus nous avançons, plus nous sommes préoccupés par ce que vit la jeunesse aujourd’hui. Les jeunes ont développé comme une nouvelle culture où il y a du très bon, du très dynamique mais aussi de grands écueils qui sont d’autant plus dangereux qu’ils sont présentés comme des comportements à la mode », constate-t-il tout en souhaitant que les jeunes trouvent sur leur route des accompagnateurs capables de les guider.

Depuis hier, à l’invitation du Pape Benoît XVI, les catholiques à travers le monde sont entrés dans l’Année de la foi. À Maurice, vous en avez donné le ton dans votre dernière lettre pastorale. De quoi s’agit-il ?


Le pape Benoît XVI a décidé de promulguer une Année de la foi du 12 octobre 2012 au 24 novembre 2013 pour commémorer le 50e anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II qui avait pour but de renouveler la manière dont l’Église est appelée à vivre sa foi dans le monde. Au moment où le monde passe par une crise économique sans précédent, où, à Maurice par exemple, les gens sont préoccupés par la montée du chômage et par les répercussions de la crise sur notre économie, la promulgation d’une Année de la foi peut surprendre. Mais l’expérience montre que lorsque nous passons par des difficultés, la foi en Dieu réveille en nous des énergies positives qui nous conduisent à réagir de manière responsable et solidaire. L’Année de la foi est donc un temps d’arrêt pour dire merci à Dieu pour le don de la foi, retrouver notre bonheur de croire et devenir des ferments de justice et de paix dans le monde.


L’Église à Maurice entrera d’une manière solennelle dans cette Année de la foi lors d’une messe dimanche à Marie-Reine-de-la-Paix. Vous vous êtes beaucoup investi ces dernières semaines dans la mobilisation des catholiques pour cette messe. Que représente ce rassemblement pour le diocèse de Port-Louis qui s’attend à une foule monstre ?


La foi est un chemin que l’on fait ensemble, à la suite du Christ. C’est pourquoi j’ai invité les fidèles, depuis le mois de mai, à se préparer à entrer dans l’Année de la foi en se mettant en route avec trois grands témoins de la foi : la Vierge Marie, Jean-Baptiste et le père Laval. La découverte de ces témoins a suscité un grand intérêt chez les fidèles. Ils étaient heureux de voir que leurs ancêtres dans la foi avaient connu des difficultés et des défis semblables à ceux qu’ils rencontrent aujourd’hui. Le courage et la créativité que la foi a suscités chez ces témoins nous ont beaucoup stimulés. Le rassemblement à Marie-Reine-de-la-Paix, Port-Louis, est un moment festif où nous rendons grâce au Dieu qui nous aime et en qui nous croyons. C’est aussi un moment où nous lui demanderons la grâce d’une vie fraternelle en Église et d’un engagement solidaire avec les plus démunis. Cette rencontre n’est pas une fin en soi ; elle est plutôt une halte sur notre chemin de foi, pour reprendre souffle et continuer la route joyeusement.


Qu’attendez-vous d’eux durant cette Année de la foi ? Y a-t-il un relâchement dans la pratique de la foi chez les catholiques ?


En ce moment, je constate au contraire un réveil de la foi chez beaucoup de chrétiens. Par exemple, à partir de parcours de formation proposés par le diocèse tels « Zezi vre zom », « Le regard de Jésus sur la femme mauricienne » et la catéchèse des parents, entre autres, des hommes, des femmes, des couples et des jeunes redécouvrent avec bonheur la foi de leur baptême. Cette foi retrouvée est source de dynamisme et de grande générosité dans leur vie. C’est vrai que tout le monde ne se soit pas rendu au même point sur la route de la foi. Mais l’important durant cette année c’est de se rencontrer sur cette route, de s’écouter et de s’encourager mutuellement à avancer. Chaque pas vaut son pesant d’or. Il n’y a pas de grands athlètes qu’on doit applaudir. Chaque petite démarche que chacun entreprend dans sa famille, dans son quartier, parmi ses connaissances, a sa valeur et peut porter beaucoup de fruits.


Justement, cette Année de la foi marque les 50 ans du Concile Vatican II dont l’objectif était de réconcilier l’Église au monde et “d’y faire entrer un peu d’air frais”. Les catholiques à Maurice ont-ils mesuré suffisamment la portée de cet événement marquant de l’histoire de l’Église et qui est qualifié de “plus important du siècle” écoulé ? De quelle manière le Concile Vatican II a influé sur la vie de l’Église dans le pays ?


Le Concile Vatican II a vraiment marqué un tournant dans la vie de l’Église. Il invitait l’Église à une réforme profonde et permanente de sa manière de vivre sa foi et d’en témoigner dans le monde. Par exemple, il nous invitait à faire nôtres les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de notre temps, des pauvres surtout, et de tous ceux qui souffrent car ce sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ. C’est ainsi que dans les années 70, juste après notre indépendance, Mgr Margéot a consacré la plupart de ses lettres pastorales à des sujets d’intérêt national comme la corruption, la foi et la politique, la justice sociale, le trafic de drogue, le tourisme etc. À cette même époque, Mgr Amédée Nagapen et Jean-Noël Adolphe fondaient l’Institut pour le développement (IDP) qui a eu un impact considérable en faveur de la nation-building. C’est grâce au concile que nous avons commencé à dire la messe et à célébrer les sacrements en français et maintenant, de plus en plus, aussi en kreol.
C’est aussi après le concile que l’œcuménisme a pris un nouvel essor. De plus en plus de catholiques s’engagent dans la rencontre et la collaboration avec d’autres églises chrétiennes. De même, le concile a encouragé le dialogue avec les grandes religions. Si aujourd’hui nous avons un Conseil des religions, si des cours sont organisés pour permettre aux chrétiens d’apprécier davantage les valeurs contenues dans l’islam et l’hindouisme, s’ils collaborent avec des frères et des sœurs d’autres religions dans des projets sociaux, c’est grâce à l’impulsion du concile.


Mais qu’en est-il de la participation active des laïcs dans ces nombreuses initiatives ?


C’est aussi à partir du Concile Vatican II que les laïcs ont été invités à prendre davantage part à la mission de l’Église, par exemple, dans la catéchèse, le service caritatif, l’animation liturgique et les mouvements d’action catholique. Les laïcs ont commencé aussi à participer au sein de conseils dans les paroisses et même au niveau du diocèse, au decision making dans l’Église.


L’Église a toujours été à l’écoute du monde. Voyez-vous du progrès dans cette ligne aujourd’hui ? L’on note une profonde détresse humaine dans plusieurs domaines de la vie, l’Église est-elle toujours une réponse aux problèmes de société ou se voit-elle dépassée par l’ampleur du travail à accomplir ?


C’est vrai qu’il y a beaucoup de détresse humaine parmi nous. Mais je constate aussi que de plus en plus de chrétiens sont attentifs à ces détresses et se mobilisent pour accompagner leurs frères et sœurs plus démunis sur leur chemin du développement humain. Je peux citer beaucoup d’autres exemples : il y a Lakaz A qui accueille à longueur de journée des jeunes et des moins jeunes atteints du VIH/Sida, et qui sont pris dans l’enfer de la drogue ou de la prostitution ; il y a ceux qui se mettent au service des SDF ou des enfants des rues ; ceux qui travaillent à la réhabilitation des toxicomanes et des alcooliques ; ceux et celles qui soutiennent de jeunes mères célibataires. Il y a d’autres qui s’engagent dans l’alphabétisation et dans le soutien scolaire. Je pense aussi à ceux qui œuvrent à l’amélioration du logement des plus démunis. Les initiatives sont multiples et entreprises avec beaucoup de générosité.
L’Église ne prétend pas pouvoir résoudre tous les problèmes humains mais elle veut montrer à travers quelques initiatives qu’une solidarité est possible, qu’elle porte ses fruits et apporte une bouffée d’air frais.


Lors de votre ordination à la fonction d’évêque vous aviez pris pour devise “Pousse vers le large”. Au bout de 20 ans d’épiscopat vers quelle direction poussez-vous la barque ? Y a-t-il quelque chose en particulier par rapport à l’Église qui vous préoccupe le plus ?


Je ne suis pas seul sur la barque, je ne fais que tenir la barre. Le gros du travail est fait par les matelots. Ce n’est pas moi qui pousse la barque, il y a un vent qui nous pousse et il s’agit de savoir prendre le vent qui nous pousse vers le large. De fait, je remarque aujourd’hui une grande soif spirituelle chez beaucoup d’adultes comme de jeunes ; ils sont à la recherche du dynamisme intérieur que nous donne la foi pour affronter les difficultés de la vie actuelle de manière plus responsable et solidaire. Notre cap, c’est de chercher à répondre à cette soif, de mettre ces hommes et ces femmes en contact vivant avec Jésus-Christ et d’accompagner ceux qui se mettent en route. Le témoignage de ceux qui redécouvrent la foi est source d’espérance pour les hommes d’aujourd’hui.
Par ailleurs, plus nous avançons, plus nous sommes préoccupés par ce que vit la jeunesse aujourd’hui. Les jeunes ont développé comme une nouvelle culture où il y a du très bon, du très dynamique mais aussi de grands écueils qui sont d’autant plus dangereux qu’ils sont présentés comme des comportements à la mode vantés par certaines publicités. J’ai l’impression quelquefois que beaucoup de jeunes sont comme des brebis sans bergers. Ils ont besoin de rencontrer des personnes qui écoutent ce qui fait leurs joies et leurs difficultés, mais qui osent aussi leur proposer le chemin de vie que nous a ouvert le Christ, et aussi être prêts à les accompagner sur ce chemin.


Et s’agissant du pays y aurait-il quelque chose qui vous inquiète ?


Par rapport au pays, ce qui est rapporté comme violence au sein des familles ou comme corruption dans la société sont pour moi comme des symptômes, des signes que certains repères ont été perdus et qu’on ne sait plus trop à quoi s’accrocher pour tenir la tête hors de l’eau. En se débattant pour ne pas couler, on peut devenir violent et entraîner d’autres avec soi. Là encore, il ne suffit pas de faire de la morale ; il s’agit plutôt de montrer ce qui est possible, d’avoir le courage de vivre différemment, de nager à contre-courant, de témoigner même petitement et de croire dans la capacité de petites semences à porter des fruits.


Étant donné que l’Église demande aux laïcs catholiques de prendre une part active dans la politique que leur conseillerez-vous dans le cadre des débats en cours sur la réforme électorale ?


Je crois profondément qu’il est temps de faire disparaître de notre Constitution, de notre système électoral et de notre vie sociale toute trace de communalisme. L’évangile nous enseigne clairement que chaque personne humaine mérite d’être respectée pour ce qu’elle est et que les droits humains fondamentaux sont les mêmes pour tous. Il me semble qu’il faut faire confiance au bon sens et à un certain patriotisme des Mauriciens. Il ne faut pas perpétuer un système qui voudrait par exemple que seul un musulman pourrait protéger les droits des musulmans, que seul un créole pourrait protéger les droits des créoles et ainsi de suite. Le mauricianisme ne peut se construire que sur une confiance réciproque.

Article paru dans Le Mauricien | 12 octobre, 2012

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